La résistible ascension de Jörg Haider Petit führer fourbe pour les uns, prince charmant pour d’autres, celui qui conditionne l’avenir politique de l’Autriche attise les passions. Qui est-il vraiment?
Simple et en même temps complexe. Prévisible et tellement incontrôlable. Talentueux et si maladroit. Intelligent, dominateur, charismatique, audacieux, manipulateur. Caméléon. Tel est Jörg Haider, l’homme qui a fait le Parti de la Liberté ("Die Freiheitlichen", FPÖ), amenant l’extrême droite aux portes du gouvernement autrichien. Tour de force. Mais aussi jeu de dupes. Pour comprendre la résistible ascension de Jörg Haider, il faut revenir vingt-cinq ans en arrière. En Carinthie. Bucolique province autrichienne, jouxtant les frontières italienne et slovène. Seul carrefour, dit-on, où se croisent les trois grandes cultures européennes. Latine, slave et allemande. Malgré le climat bienveillant qui a longtemps attiré les touristes en masse, un vent de discorde continue d’y souffler entre la majorité germanophone et la très ancienne minorité slovène, attisant les dernières braises d’un nationalisme dirigé essentiellement contre l’Est. Insidieux. Fantasmatique. En 1976, Jörg Haider a 26 ans et quitte sa ville natale de Bad Goisern, en Haute-Autriche, pour s’installer en Carinthie, où il a décidé de faire carrière. En politique. Une décennie plus tôt, il est entré au FPÖ où, écrit une de ses biographes, la journaliste viennoise Christa Zöchling, il fréquente toujours le plus fort, apprend à intriguer et à mentir. Pas plus que le choix de la Carinthie, celui du FPÖ n’est un hasard. L’ambition cannibale qui le pousse vers la chancellerie, Haider l’a puisée dans la "justice" qu’il veut rendre aux siens, à ce père cordonnier qui a fait très tôt le mauvais choix du national-socialisme, à cette mère qui dut répondre aussi de ses actes devant une commission de dénazification. Refusant de dénoncer l’engagement des Autrichiens dans le nazisme, le Parti de la Liberté raccole une clientèle bien particulière.
JEUNESSES HITLÉRIENNES
Mais avant d’être hissé au pavois de la notoriété, Jörg Haider a dû travailler. Dur. Sans relâche. Juriste de formation selon son CV, il joue d’abord les porteurs d’eau. C’est à cette époque , se souvient une opposante sociale-démocrate, qu’il est repéré par Mario Ferrari-Brunenfeld, son prédécesseur à la tête du FPÖ de Carinthie. Deux ans plus tard, Haider "tuera" son découvreur. Mais c’est surtout chez Leopold Wagner que le jeune ambitieux trouve sympathie et inspiration. Les sociaux-démocrates n’aiment guère rappeler que cet ancien gouverneur local issu de leur rang, mis un instant au ban de la communauté internationale pour avoir appartenu à la "Hitlerjugend" – les jeunesses hitlériennes -, a toujours considéré le jeune Jörg comme son fils spirituel (1). L’étape suivante consiste pour le jeune Haider à prendre le contrôle du parti, à l’échelle nationale. Nous sommes en 1986 et Norbert Steger est à la tête du FPÖ. Cet économiste libéral, vice-chancelier dans le cabinet Vranitsky, a jusque-là oeuvré à réduire la tendance nationale-populiste de son parti. Insoutenable pour Haider qui fait campagne contre lui. Son élection sera, paraît-il, saluée par des salves de "Sieg Heil". La montée en puissance des "libéraux" peut dès lors commencer dans tout le pays. 1986: 10%. 1990: 16,6%. 1994: 22,5%. 1999: 27%. Le nain de la politique autrichienne, bouffon des éminences sociales-démocrates et conservatrices, a réussi à se tailler la voie du trône gouvernemental.
ÉLOGE DU III e REICH
Clé de ce succès remarquable: le mécontentement. Parmi les insatisfaits chroniques, les incontournables "vieux nazis" auxquels Haider procure une sorte de thérapie familiale , selon le mot du professeur Ottomeyer, psychothérapeute à l’université de Klagenfurt (lire ci-dessous), chef-lieu de la Carinthie. En 1991, pour la première fois gouverneur, Haider se risque à un éloge de la politique du travail du IIIe Reich, qu’il juge méthodique . Il doit démissionner. En 1995, il flatte publiquement des anciens membres de la Waffen SS. Scandale. Dénégations. Opprobre international. Huit ans après l’affaire Waldheim, l’image de l’Autriche est à nouveau ternie… mais la popularité du chef du FPÖ enfle. Jörg Haider est-il pour autant un néonazi? Non, estime l’historien Günther Hödl, professeur à l’université de Klagenfurt. Même s’il y a indubitablement une influence familiale. Même s’il y a chez lui un nationalisme que l’on retrouve également dans le nazisme. Haider crée en fait une illusion réaliste, autour d’une prétendue insécurité. Une illusion qui fait craindre aujourd’hui à la minorité slovène de Carinthie des lendemains tourmentés. Outre les nostalgiques du Troisième Reich, Jörg Haider a su réconforter les laissés-pour-compte de la "proporz" – le partage consensuel des postes à responsabilités dans les différentes instances publiques établi après guerre par les sociaux-démocrates et les conservateurs. Une partie de l’électorat socialiste l’a rejoint. Beaucoup de jeunes qualifiés mais sans emploi se sont également tournés vers le FPÖ où ils côtoient un milieu autrement populaire. Aux "yuppies" portant Rollex et habillés Versace, le beau Jörg offre une chance et ne pardonne pas l’échec. Aux "petits", il promet de généraliser le "kinderscheck", une mirifique allocation incitant les mères à rester à la maison, dans le cadre d’un projet pilote.
TROP BEAU POUR ÊTRE VRAI
Au-delà de cette politique du coup par coup, on cherche en vain une ligne directrice, comme l’ont souvent montré ses volte-face européennes. Populisme, exploitation du mécontentement et de la peur de l’autre, ébranlement du consensus fondamental sur les droits de l’homme et l’immigration, création d’une insécurité factice: telles sont les recettes du prétendu "haidérisme". Le tout nimbé d’un nationalisme rampant que les patriotards carinthiens du KHD (Kärntner Heimatdienst) qualifient pour leur part de régionaliste, tourné vers les frontières limitrophes, affirmant être désormais seuls à défendre la véritable identité autrichienne… Si l’"haidérisme" n’est qu’une chimère, Jörg Haider est au contraire tout-puissant. En représentation permanente, il est l’artisan de son propre succès. Beau – trop beau pour être vrai, disent ses adversaires politiques qui montrent, photos à l’appui, des changements intervenus dans sa plastique après un récent voyage aux Etats-Unis – sportif, élégant, sûr de lui, il incarne un certain idéal. Et grâce à son talent oratoire, ce populiste moderne achève de séduire les foules lors de meetings organisés dans la tradition américaine.
SI RICHE ET NÉVROTIQUE
Seule griffe dans ce portrait parfait – aux yeux de certains de ses fans en tous cas: un mariage boiteux, une épouse cachée, et l’entourage de jeunes hommes alimentent la rumeur. N’avez-vous jamais remarqué, persifle une de ses adversaires, qu’il a attaqué toutes les minorités dans ses campagnes, sauf les homosexuels?
Le meilleur tribun du monde ne peut enfin rien faire sans argent. Officiellement, Jörg Haider est propriétaire du Bärenthal, une vallée boisée de 1.300 hectares située au sud de Klagenfurt, héritée d’un oncle… "honoraire". Ce dernier l’a lui-même achetée à bas prix à une famille juive fuyant l’Autriche lors de l’Anschluss. Mais l’endroit semble trop peu industrieux pour financer les campagnes électorales tapageuses du FPÖ. Alors? Le Parti de la Liberté bénéficierait, dit-on, de la générosité de donateurs, parmi lesquels un fabricant d’armes de la province et certaines personnalités que l’opposition désigne comme des nostalgiques du nazisme. Au fil des années, les affaires ont rejoint le chef du FPÖ. Un député libéral est ainsi accusé d’avoir lourdement escroqué de petits épargnants. Le nom de Haider a été cité. Il a nié. Et comme pour ses affiches racistes et tant d’autres propos insupportables, il n’a pas été inquiété , s’insurge une sociale-démocrate. A vouloir aller trop vite, Jörg Haider a souvent trébuché. Ses insultes récentes à l’adresse de la France et de la Belgique prouvent qu’il ne possède pas toujours la maturité exigée à ce niveau du pouvoir. Stress? Manque de contrôle? C’est un processus névrotique , rétorque-t-on durement au siège régional du parti conservateur (ÖVP). A cinquante ans, on ne le changera plus. Les coups portés par la vie ont parfois fait mal au "caméléon". Ce fut le pire moment de sa vie. Il me l’a souvent dit, raconte Hubert Patterer, journaliste au "Kleine Zeitung", en évoquant la démission forcée du gouvernorat de 1991. Enfin, sous des dehors relax, Jörg Haider serait un grand anxieux- . L’homme qui ne jure que par les randonnées en montagne serait angoissé à la seule pensée de quitter Klagenfurt pour Vienne. Ce qui laisse un maigre espoir à ses adversaires de le voir renoncer un jour à la chancellerie. Où est le vrai? Où est le faux? Contraint à plusieurs reprises de reconnaître ses erreurs, l’homme demande d’être jugé sur ses actes. Ses opposants politiques n’ont pas attendu le conseil et dénoncent l’absence de toute réalisation depuis qu’il gouverne la Carinthie… où il a tout de même tenu sa promesse de baisser les loyers et le coût de l’électricité. La démagogie a son prix. Et s’il a commencé à placer ses pions à des postes importants, ce sont toujours des gens très qualifiés, assure-t-on à bonne source. Biaisé, anguleux, tordu: Jörg Haider flotte nécessairement entre réalité et légende. Son destin a ainsi inspiré plusieurs biographes atteints ou non d’empathie. L’an dernier, des étudiants de l’université de Klagenfurt ont été jusqu’à faire de lui le rôle-clé d’un "Cendrillon" revu et corrigé. Haider y apparaissait sous les traits d’un prince fourbe qui voulait séduire Cendrillon, explique l’auteur de la pantomime. En définitive, il a fini par marier l’une de ses deux demi-soeurs. La plus moche. Un conte à ne pas dormir debout…
PASCAL MARTIN
(1) Victime dans les années 80 d’un attentat qui lui a laissé de graves séquelles, Leopold Wagner est aujourd’hui à la retraite. D’où il oppose un "non" définitif à tout journaliste désireux de le rencontrer.
"Enfant sauvage ou Robin des Bois"
Psychologue et psychothérapeute à l’université de Klagenfurt, le professeur Klaus Ottomeyer a consacré une série de travaux au "cas" Haider. Sur base de ses conclusions, il dresse un portrait surprenant, d’inspiration freudienne. La fascination qu’entraîne le charisme d’un Jörg Haider relève du psychodrame, analyse-t-il . Elle conduit les foules à minimiser ses préceptes antidémocratiques. Jörg Haider, commente Klaus Ottomeyer, est très influencé par le passé de ses parents qu’il cherche à réhabiliter. Beaucoup d’Autrichiens l’aiment parce qu’ils le voient comme un "thérapeute familial". Ce rôle est en lui. Il ne peut s’en départir, et cette obligation trahit le point faible de sa souplesse mentale légendaire. Il ne répudiera jamais l’engagement autrichien au nazisme. Un brin mythomane, Jörg Haider endosserait chaque fois qu’il le peut la peau de ses héros. Tantôt, il veut être le Robin des Bois des petites gens qui reportent leurs espoirs de justice sociale sur lui. Tantôt, il est le "Rocky" de Sylvester Stallone, et pas n’importe lequel: celui du quatrième épisode qui raconte comment le boxeur- retourne à la nature pour se ressourcer. Les clips vidéo de ses campagnes électorales ont sacralisé ce retour à la pureté originelle… abondamment exploité par le national-socialisme entre les deux guerres. Il y aurait enfin une dimension sexuelle dans le rapport qu’entretiennent Jörg Haider et ses "fans": Il est le mâle qui a trouvé la sagesse et dirige la tribu, dénonce la dépravation des moeurs et renvoie les femmes à leurs foyers grâce au "Kinders -check" qui leur permettra d’élever les enfants sans travailler. L’amour est aveugle, dit-on. Les supporters de Haider, eux, ne sont plus capables d’écouter les critiques à son sujet. Il leur fait avaler n’importe quoi. Autre "déviance": Il peut se montrer cruel avec les fautifs, en les humiliant face au groupe. La "peur du maître" compterait pour beaucoup dans le respect qui lui est voué. Jörg Haider n’est pas infaillible, et le professeur Ottomeyer est bien décidé à ne pas attendre que l’exercice du pouvoir démontre le contraire. Il n’est pas aussi intelligent qu’on veut bien le dire, assure-t-il. On le surestime. L’insulte faite à la France et à la Belgique démontre un manque certain de maturité. Lorsqu’il est dans le coin, il réagit comme un enfant sauvage…
P. Ma.
Le Soir, Brüssel, 4. Februar 2000
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